Retour sur les représentations de Fracasse du parcours “Arts de la scène au collège”
Ola du Pas-de-Calais et de Châlon,
“Alors c’est dimanche soir, on est à la mi-mars. Il ne fait pas froid. Pas chaud non plus. On s’est donné rendez-vous sur la place devant la gare d’Arras. Assez moche, la gare. Sans charme. La place, elle, tient de belles promesses. Les briques rouges, les façades. Pas loin de là, le beffroi. Ça pourrait sentir la frite, mais non. Je suis là le premier. Merde, c’est le week-end de mes 35 ans. J’hésite entre gros coup de blues ou… Un sms de Nico. Il est sur la place avec le camion. Cette semaine, on joue Fracasse dans le Pas-de-Calais.
Laura est arrivée. Dans une brasserie, on fait le point sur la feuille de route transmise par Abdel. D’abord Divion, puis Beaurainville et on finira la semaine à Billy Montigny avec À la porte. On se doute pas encore que le camion de La Sarbacane tombera en rade à Besançon le jeudi et qu’on devra annuler les deux représentations prévues.
Après le dodo à Bruay-la-Buissière, on arrive le lendemain au collège Henri Wallon de Divion où on ne nous attendait pas si tôt je crois. Passées les salutations à la rigoureuse gestionnaire de l’établissement, on est conduits dans le réfectoire. Une salle toute neuve qu’il faut vider de son mobilier. Les jeunes qui vont faire l’atelier s’en chargent avec nous et Nico approche le camion en prenant soin de rester sur le chemin bétonné derrière la salle. On fera la chaîne avec le décor sur la pelouse entre le camion et la salle.
– C’est ça le décor ?
– Vous posez ça dans la salle, où Laura et Jérôme vous le diront.
C’est ludique de déplier les tabourets. L’atelier, il commence par ça.
Là, débute le rituel. On parle du spectacle, de l’espace, de la scène, du public, des Vermiraux, de la révolte.
Le discours est rôdé et personne de moufte. Ca écoute, plus ou moins emballé. Le matin, c’est plutôt l’ambiance parc à huitre à marée basse. Puis le jeu des numéros [le 1er mot qui te passe par le tête], [trois], [trois], [quatre-quatre], [tape dans tes mains], [saucisse], [sept sept sept sept sept jusqu’à ce que le suivant dise huit], [neuf], [de poule], [onze], [douze], attention au double-petit-pont, celui qui m’est toujours fatal alors que Laura est championne du monde [quatorze], [treize].
– À quoi il sert cet exercice ?
– À comprendre qu’il faut rester réveillé
Et puis le jeu l’alphabet.
Et puis le Z comme Zoo, Zut, Zorro, Zéro ou Zizi tiens.
Là, ça écoute.
C’est prévu.
Ils sont prêts à écrire.
La scène de la révolte.
Chacun sa réplique.
Et puis on les met dans l’ordre.
Ca s’écrit presque tout seul.
Et tout à l’heure, on joue…
Quand vous entendez les cuillères, dites-vous que c’est le moment.
Avant ? Profitez du spectacle.
Deux heures passées avec eux puis la salle s’est vidée. Le repas au self, avec eux. Les œillades en disent long. Il y a la complicité, le trac aussi.
Ca joue à quatorze heures. Les quatre classes sont entrées, dont celle qui a fait l’atelier, noyée parmi ceux dont on ne connaît rien.
Il y a cette grande fille à lunettes aux cheveux très foncés qui trimballe quelque chose. Depuis le matin je n’y arrive pas avec elle. Je la vois floue. Une phrase lâchée à la cantonade.
– Lui, je peux pas le blairer
Va falloir jouer avec cette phrase-là en tête. Ca, c’est Fracasse. Ce ne serait pas arrivé dans À la porte, merde.
Chaque représentation ne ressemble pas aux autres et tout est à refaire, chaque fois. Chaque fois comme si le spectacle n’existait pas avant. Chaque fois, toujours une première.
Ca le fait. Ils sont avec nous et la représentation terminée. On remercie la Vidaline qui s’est prêtée au jeu. Ca s’installe sur les lits et les tables et on parle. Longtemps.
Vingt-sept demandes de nouveaux amis sur Facebook. Que des photos de profil de mômes avec des oreilles et des truffes de toutou.
Le soir, on recommence. Avec les familles. Les parents qui ne vont pas au théâtre d’habitude sont là. Vrais. Pas d’hypocrisie. Peut-être qu’ils ont dû se botter le cul pour venir.
On commence et il y a un regard, yeux dans les yeux, avec la fille à lunettes aux cheveux très foncés qui trimballe quelque chose. Nico a dû passer par là. Il prend autant soin de chacun de nous qu’il ne le met en danger. Merci.
Au salut on est bien ensemble. Il y a toujours une étreinte. Azolan, Basque et Fracasse d’abord et puis les jeunes. Ils ont fait du théâtre. Ils en ont vu. Aujourd’hui ils n’ont pas comblé une jauge au fond de la salle d’un CDN devant un Objet Théâtral Non Identifié. Il y a de la fierté dans leurs yeux et dans les yeux des parents qui aident à remettre la salle en ordre. Cette salle qui redevient un réfectoire et qui sera pour eux, et pour un bon moment, le réfectoire des Vermiraux. Troubler le réel en racontant des histoires.
Nico est parti pour jouer [SH], son dernier coup d’archet en Lorraine. Il a loué une voiture pour rentrer. Vie de dingue.
On charge le camion avec Laura, les parents et les jeunes qui restent pour ne pas que la soirée se termine trop vite.
Le camion est maintenant reculé au plus près de la porte de la salle. Dans la pelouse.
Les portes claquent. On se dit au revoir. La salle s’éteint et tout le monde part.
Nous, non.
Le camion est descendu de 15 bons centimètres dans la terre humide.
Un peu de dépit.
Tout décharger ?
Trouver des planches à glisser sous les roues ?
Nos deux téléphones sont presque en rade de batterie et ça capte moyen.
Des rires nerveux.
On parcourt le village et on frappe au hasard.
– Vous connaissez un dépanneur ?
– Oui, voilà le contact mais il est tard.
On y reviendra plus tard, penauds, parce que les batteries des téléphones ont lâché.
– On peut appeler l’assistance depuis chez vous ? On est désolés.
– Pas grave on allait regarder un film.
Faudra encore attendre quarante-cinq minutes et un bon fou rire avec Laura, autour d’un délire-au-couteau-suisse, pour qu’un câble tendu vienne nous sortir de là.
La honte.
Beaurainville. On y arrive vers les deux heures du mat’ dans un hôtel où on finit par manger machinalement et sans appétit, un casse croûte acheté dans l’après-midi à Bruay. À la Petite Ferme, on recommencera dès le lendemain. Atelier le mercredi matin et trois représentations le jeudi dont une avec les parents.”
Contact :
Pôle Culture
Ligue de l’enseignement du Pas-de-Calais
abaraka@ligue62.org
03 21 24 48 60
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