Il y a un an, Samuel Paty était sauvagement assassiné parce qu’il faisait simplement son métier d’enseignant : éveiller le sens critique de ses élèves. Par cet assassinat qui nous a tous fortement indignés, c’est toute la communauté éducative qui a été attaquée, c’est notre modèle républicain d’éducation, former des femmes et des hommes libres, capables de penser par eux-mêmes qui se trouve remis en cause de façon inacceptable.
A travers l’hommage rendu à celui qui est allé jusqu’au sacrifice de sa vie parce qu’il croyait à l’idéal républicain de laïcité, les commémorations rappellent la nécessité de se souvenir que ce bien commun construit collectivement au cours de notre histoire est un bien fragile
Il faut sans cesse en entretenir la flamme au risque de la voir s’éteindre sous les attaques des vendeurs de haine et d’intolérance, que ce soit comme pour Samuel Paty les fanatiques islamistes qui avancent à visage découvert pour imposer par la terreur leurs conceptions rétrogrades ou ceux plus lisses incarnés par la parole d’un politicien, qui à l’occasion des enjeux électoraux de la Présidentielle, manipulent l’opinion en stigmatisant une partie de nos concitoyens, les citoyens musulmans, pour les rendre responsables de leurs légitimes inquiétudes face à un avenir incertain.
Ces 2 intolérances en apparence opposées se nourrissent l’une l’autre en instrumentalisant la laïcité au seul profit de leur conception rabougrie d’une société de la défiance de l’autre, de l’exclusion dont l’histoire nous a appris à quels extrêmes elle peut conduire. C’est en cela que le devoir de mémoire est une nécessité.
Pour développer leur influence, ils utilisent les mêmes méthodes, les discours simplistes, les contre vérités, qu’ils déversent sans filtres sur les réseaux sociaux. Pour Samuel Paty, sans la complicité de ces réseaux qui ont relayé l’appel à la haine, l’inéluctable ne se serait pas produit. Ces mêmes réseaux en véhiculant les idées complotistes, les discours haineux, le rejet de l’autre, constituent le terreau sur lequel prospèrent les idées de celui qui, bien que condamné à plusieurs reprises pour incitation à la haine raciale, prétend incarner une République dont les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité sont l’exact contraire de ce qu’il est.
Au-delà de l’indignation, des commémorations nécessaires mais souvent sans lendemains, il nous faut faire vivre la laïcité qui seule nous permet de vivre dans le respect de nos différences et de faire société dans un climat apaisé. Pour faire reculer les idées contraires à cet idéal aujourd’hui menacé il nous faut une mobilisation à la hauteur de cet enjeu.
Cela passe par la reconnaissance du rôle irremplaçable des enseignants qui sont en première ligne dans ce travail obscur du quotidien. Pas seulement une nécessaire reconnaissance financière, mais une vraie reconnaissance sociale sans laquelle leur parole dévalorisée n’est plus écoutée par les enfants dont ils ont la charge mais aussi par les parents.
Cela passe par des moyens à la hauteur de l’enjeu, dans les quartiers périurbains en politique de la ville et dans les zones rurales désertés par les services publics qui en donnant le sentiment d’abandon nourrissent la rancoeur que les vendeurs d’illusion utilisent à leur profit
Cela passe par la reconnaissance du rôle irremplaçable des associations dont on a supprimé les moyens et qui malgré cela continuent à oeuvrer pour créer du lien social et faire vivre au quotidien les valeurs de la République.
Dans l’attente de la mise en oeuvre de politiques publiques à la hauteur de l’enjeu d’une société qui fasse vivre concrètement et pas seulement en discours les valeurs de la République , la Ligue de l’enseignement est mobilisée dans des actions au quotidien sur les thématiques de la laïcité, de la fraternité ou de la citoyenneté numérique. C’est l’objet de nos semaines départementales qui sont l’expression visible du travail que nous menons tout au long de l’année avec les associations, les enseignants et les collectivités publiques .
Notre engagement est le même que celui entrepris par les fondateurs de la ligue de l’enseignement en 1866, former des citoyens éclairés. Cela s’est traduit par les lois Jules Ferry pour la mise en place de l’école publique , la loi de 1901 sur la liberté d’association et la loi de 1905 sur la laïcité. Grâce au cadre républicain et aux luttes sociales qui ont permis l’émancipation, l’obscurantisme a reculé. Aujourd’hui parce que l’idéal républicain n’est plus au rendez vous des attentes de nos concitoyens, parce que l’ascenseur social est en panne, les forces de l’obscurantisme reprennent de la vigueur.
Samuel Paty était en première ligne pour faire reculer l’obscurantisme, pour faire triompher la raison sur la passion, pour développer l’esprit critique et la liberté de conscience. Au quotidien, il y a des milliers de Samuel Paty qui, dans l’anonymat de la vie associative, de l’école s’investissent pour continuer son engagement
A l’occasion de ce douloureux hommage, la Ligue de l’enseignement du Pas de Calais veut simplement dire à tous ces anonymes, enseignants, militants associatifs, toute son admiration pour leur implication dans ce beau combat pour l’émancipation qui est aussi le sien.
Daniel BOYS, Président de la Ligue de l’enseignement du Pas-de-Calais