La note de service du 31 août 2023 adressée aux cheffes et chefs d’établissement d’enseignement fait entrer « le port de tenues type abaya ou qamis » (sic) dans le périmètre d’application de la loi du 15 mars 2004, au motif que « le port de telles tenues manifeste ostensiblement en milieu scolaire une appartenance religieuse » et, pour cette raison, ne peut y être toléré.
Attachée à l’application d’une loi votée démocratiquement, la Ligue de l’enseignement prend acte d’une décision à laquelle les cheffes et chefs d’établissement trouvent avantage puisqu’elle allège leur part de responsabilité dans l’appréciation des situations qui se présentent à eux.
Cependant, la Ligue de l’enseignement exprime son inquiétude devant les démonstrations de fermeté sélectives en matière de laïcité et de séparatisme. Trois risques surtout lui semblent redoutables.
Les avantages institutionnels et financiers assurant la prospérité d’un enseignement privé dont nul n’ignore le « caractère propre » religieux, le plus souvent catholique, qui contribue à en faire un instrument de sélection scolaire et sociale, ces avantages peineront à convaincre celles et ceux qui en doutent que les divers cultes pratiqués sur le territoire national y jouissent d’un égal respect.
La fermeté laïque toujours réaffirmée à l’adresse des musulmans cache de plus en plus mal l’impuissance à changer un ordre des choses, des réalités sociales qui nourrissent les revendications identitaires. Les tensions que ravivent périodiquement des formes variées de discrimination seront-elles apaisées par une communication qui instrumentalise les peurs et les fantasmes plutôt que de combattre les ignorances et les préjugés ? Étrange République que celle où les décisions concernant un vêtement dont, il y a peu, beaucoup de Français ignoraient jusqu’à l’existence, saturent l’espace médiatique, quand plus de 40 000 enfants dorment comme leurs parents dans une voiture, une caravane ou un squat.
Enfin, l’argument qui met en avant la libération des jeunes filles, leur affranchissement d’une pression ou d’une contrainte subie, s’il mérite assurément être pris en considération, ne saurait avoir une valeur absolue et générale. Il faudrait pouvoir démontrer que, dans tous les cas, le port de tel ou tel vêtement a une signification religieuse et ne résulte pas d’un libre choix. Qui le pourrait ? À désigner ainsi à l’attention publique des jeunes filles qui, trop souvent déjà, ne voient plus dans notre laïcité qu’une multiplication d’interdits, pense-t-on qu’on les persuadera mieux de son caractère essentiellement émancipateur ?
Au lendemain de la création de la Ligue de l’enseignement, en 1867, le ministre de l’instruction publique avait fait sensation en répondant à ceux qui réclamaient que les membres du clergé soient dispensés du service militaire : « le pays ne comprendra jamais qu’avec trois aunes de drap noir ou gris un chef de communauté puisse faire un dispensé militaire ». On aspire à entendre un Victor Duruy du XXIe siècle dire que ce n’est pas le fait de porter ou non « trois aunes de drap noir ou gris » qui menace la République et l’identité nationale.