Noémie Rosenblatt, de la compagnie du Rouhault, temoigne de ses ateliers menés au Collège de la Gorce d’Hucqueliers dans le cadre d’ « Arts de la Scène au Collège »*
Faire avec la gêne et la pudeur
Ils sont 19, ils sont en 4ème, ils ont 13 ou 14 ans… Ils se connaissent bien, ils aiment bien leurs profs, ce sont ce qu’on appelle de « bons gamins ». Le collège de la Gorce, implanté en milieu rural, est mené par M. Depoix, homme grand et fin, charismatique et disponible, toujours en cravate et toujours le sourire aux lèvres. Il y a une bonne ambiance. Les élèves viennent quasiment tous en bus de ramassage scolaire. Ils ne trainent pas après les cours, ils se voient peu en dehors du cadre scolaire, ou bien dans les associations sportives ou à l’école de musique. Dans la cour du collège c’est assez joyeux, et même si le bitume a tout recouvert, autour partout c’est la forêt, les champs et à l’horizon des éoliennes.
Les grèves scolaires pour le climat n’ont ici été relayées par personne. Les mouvements sociaux qui agitent les villes n’ont pas secoué leur quotidien. Les manifestations, les marches, les mobilisations ne les concernent pas… Pas encore. Ils ne font pas entendre leur voix. Pas encore. Aucun ne semble être leader. Ils sont ensemble. Garçons et filles bien séparés, mais ensemble quand même. Et tous ensemble, timides ou agités, lumineux ou effacés, ils partagent la pudeur de l’adolescence. Certains ont poussé trop vite et d’autres trainent des corps d’enfance, et ils sont jeunes encore. Ça se voit dans leurs yeux. Des yeux d’ados.
C’était une première pour moi : accompagner sur une année scolaire un groupe d’ado dans le cadre scolaire, accompagner les profs donc aussi, et les ouvrir à « l’Art de la scène ».
Je suis entrée dans leur univers avec retenue et curiosité, guidée par des enseignants sympathiques qui les secouent et parlent fort dans un gymnase qui résonne.
Ils s’étaient déjà lancés dans cette option danse avec plus ou moins de facilité, mais avec joie.
Les profs leur parlent rythme, structure, variation, compte et tempo, composition de phrases chorégraphiées. En écho, je leur parle d’images à construire et du sens de leurs gestes, de ce que leurs corps racontent, souvent malgré eux. Je leur parle d’intention, de situation, d’enjeux, d’histoire à raconter, d’émotion à transmettre.
Le corps et les mots.
La danse et le théâtre.
Est-ce qu’ils comprennent au fond ce que je cherche ? Ce que les profs et moi espérons leur faire ne serait-ce que toucher du doigt ?
Certaines filles qui dansent bien et sont surtout dans l’exécution, luttent pour assumer un regard, une intention poussée jusqu’au bout du geste, certains garçons plus maladroits se jettent dans leurs propositions en gloussant mais osent un peu quand même. Ça les gêne. Interpréter, c’est se livrer. Mais on y arrive. Un peu. Par touches. En sachant que la semaine suivante il faudra tout répéter, c’est le jeu. Les enseignants le savent, je l’apprends. Ils ont tellement d’autres cours, d’autres choses à vivre.
Et puis, un jour… Maxime s’est lancé.
Maxime est toujours agité, toujours à chuchoter avec ses copains et à rire tout le temps, il glousse dès que quelque chose le gêne, et comme tout le gêne… Il n’est pas très attentif mais assez sympathique avec sa petite tête de garçon, sa dégaine d’enfant.
Ce jour-là, Monsieur Magry a eu l’idée de lui confier un solo. D’abord pour l’isoler un peu. Il nous fatigue. Alors, tandis que ses copains sont occupés ailleurs, dans des groupes de trois ou quatre, avec des filles, Maxime tout seul construit sa phrase.
Dans notre pièce, Une île, une grande vague a recouvert le Nord de la France et seuls quelques survivants découvrent au petit matin qu’ils vivent désormais sur un île entourée d’eau d’où dépasse les terrils. Maxime doit danser/jouer ce réveil. L’eau partout. La peur. Monsieur Magry lui a demandé de travailler surtout au sol.
Et le voilà, tout seul dans son coin. Il semble bien concentré. Je m’approche sans lui parler, il voit bien que je le regarde mais continue. Lorsqu’il s’arrête, il voit mon étonnement et ma joie, il attend le verdict, soudain timide, lui à qui je n’ai dit depuis octobre que des « Maxime, ça suffit maintenant ! » « Maxime, tu peux écouter s’il te plait », « Maxime, tu peux bosser sans glousser ?! ».
Je lui dis que je trouve ça formidable. Les élans et les regards. Nous parlons de la situation, de ce qu’il veut que ça raconte, on fixe à deux des points d’accroche et il reprend, agile et inventif, et je vois bien que sa fierté le pousse. Il va comme ça, reprendre sa courte phrase chorégraphique, tout seul, jusqu’à la fin du cours. Très appliqué. Les copains autour il ne les regarde pas. Il bosse. Il cherche. Monsieur Magry et moi le regardons de loin, heureux de lui avoir fait confiance.
Il s’est jeté. Il a dépassé sa gêne. Il ne glousse plus car il a confiance.
J’en retiens une leçon. Nous nous adressons à un groupe mais lorsque qu’on donne de l’attention, un regard complice, un « bravo » discret, à l’un ou l’une d’entre eux, un pas vers la confiance se fait. C’est tout petit, juste un ressenti, mais pas à pas le corps s’ouvre.
La prise parole c’est autre chose… c’est le défi suivant !!
NOEMIE RONSENBLATT
Le 20 mars 2019
*Action menée en partenariat avec le Conseil Départemental du Pas-de-Calais
Contact :
Abdel Baraka
Chargé de mission Spectacle Vivant
Ligue de l’enseignement du Pas-de-Calais
abaraka@ligue62.org
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