Exception consolante est le titre du livre dans lequel notre ami Jean-Paul Delahaye relate son histoire personnelle, celle d’un enfant d’un milieu populaire très pauvre qui grâce à l’école de la République a pu terminer sa carrière d’enseignant comme conseiller de Vincent Peillon, puis directeur général de l’enseignement scolaire.
Le titre est emprunté à Ferdinand Buisson, lui-même illustre militant de la Ligue de l’enseignement, qui avait qualifié ainsi les rares élèves boursiers qui venaient contredire la reproduction sociale. C’est ainsi que dès la fin du 19ième siècle, il était fait une critique de l’institution scolaire. Si celle-ci a offert la possibilité d’un « ascenseur social » pour quelques uns, celui-ci n’aura été pris que par ces « exceptions consolantes » qui comme Jean-Paul Delahaye ont franchi la frontière de la pauvreté. Ce dépassement que Jean-Paul décrit très bien en citant le philosophe Alain qui parlait de ces « rois nés du peuple pour donner un air de justice à l’inégalité ».
Bien sûr il est indéniable qu’un important mouvement de démocratisation de l’enseignement secondaire a permis à 80% d’une classe d’âge de parvenir au niveau du baccalauréat. Des enfants de pauvres ont ainsi réussi à entrer plus nombreux dans le système éducatif. Mais ce sont des exceptions, ils sont l’arbre qui cache la forêt.
Les différents rapports que ce soit celui de l’OCDE, les rapport sénatoriaux, le classement PISA, tous montrent que la France est un des pays les plus inégalitaires parmi tous les pays occidentaux, celui qui reproduit voire même aggrave les inégalités sociales
Le rapport de l’OCDE indique même que la France favorise la réussite d’une élite tandis qu’elle est de moins en moins capable de faire réussir les enfants les moins privilégiés.
C’est un étrange paradoxe que dans notre pays, celui qui a mis en place en premier l’école publique laïque et obligatoire, qui a pour devise républicaine liberté, égalité, fraternité , qu’en fait ce soit l’origine sociale qui conditionne la réussite scolaire.
Comment s’en étonner quand les inégalités sociales augmentent, quand les riches deviennent plus riches et que les pauvres sont toujours plus nombreux avec 8 millions de personnes en dessous du seuil de pauvreté
Comment s’en étonner quand on sait dans quelles conditions difficiles vivent les enfants pauvres dans des logements exigus, sans le bagage socioculturel des plus aisés et souvent sans les outils nécessaires pour accéder à une information de qualité.
Comment s’en étonner quand ces jeunes pauvres en difficulté scolaire se situent dans les quartiers périurbains ou les zones rurales désertées par les services publics.
Comment s’en étonner quand les moyens donnés aux associations d’éducation populaire qui viennent en soutien scolaire, en accompagnement culturel et social auprès des populations pauvres ont vu leurs moyens diminuer par la suppression des emplois aidés
Le résultat de notre politique éducative n’est pas glorieux. Nous sommes selon l’OCDE dans le groupe des 4 ou 5 pays les plus inégalitaires parmi les pays occidentaux et ce sont les pauvres qui en sont les victimes. Ils accumulent ainsi difficultés de vie au quotidien que ce soit pour se loger, se soigner, s’épanouir, se nourrir, se déplacer avec en plus aucun espoir de sortir de leur condition, ce que l’école républicaine devrait leur permettre.
Qu’en est-il aujourd’hui de la grande mission de l’école républicaine de faire sortir les jeunes de leurs déterminismes sociaux. Aujourd’hui elle conforte, voire amplifie les inégalités. Tout cela est le résultat de choix politiques qui ont privilégié les « premiers de cordée », ceux qui réussissent contre ceux qui ne sont rien, ou ceux qui savent traverser la rue pour trouver un emploi
Il n’y a pas de fatalité. Les mesures prises par le gouvernement, le dédoublement des classes primaires en ZEP, une revalorisation du salaire des enseignants qui reste l’un des derniers en Europe ne sont pas à la hauteur de l’enjeu, et la politique obsessionnelle d’évaluation n’a pour objectif que de justifier le tri social et la reproduction des élites.
Et pourtant, des solutions existent, elles sont mises en œuvre dans les pays d’Europe du nord et elles montrent leur efficacité en matière de réussite éducative pour les jeunes issus des milieux les plus défavorisés. En France même les enseignants innovent dans des conditions difficiles, dans les quartiers en politique de la ville. Les associations elles aussi s’investissent pour la réussite éducative. Par exemple dans notre département, l’association l’ENVOL permet à des jeunes en décrochage scolaire, le plus souvent issus de milieux pauvres, de retrouver par les pratiques artistiques confiance en eux pour s’inscrire dans des parcours de vie positifs.
Aujourd’hui l’ascenseur social est en panne, les classes moyennes se paupérisent et les plus modestes d’entre nous, les plus pauvres survivent tant bien que mal dans les zones périurbaines. Ils ne votent plus parce que leur vie quotidienne, leur avenir qu’ils savent bouché, les ont fait douter du triptyque républicain : liberté égalité fraternité. Ils sont seulement sortis de leur invisibilité en se revêtant de gilets jaunes comme celui que l’on met lorsque l’on est un accidenté de la route, leur route à eux étant l’idéal républicain défaillant.
La cohésion sociale se délite, les différentes catégories sociales vivent enfermées dans leurs univers urbains cloisonnés, l’inquiétude de nos concitoyens est grande face à un avenir social et écologique incertain.
Au lieu de se saisir de ces enjeux, les débats actuels de la présidentielle tournent autour de la question des frontières, de l’insécurité et des migrations, autant de sujets pour instrumentaliser les peurs dans une vision politicienne à court terme qui ne fait que le jeu de l’extrême droite.
Il est plus que temps, sous peine d’un avenir encore plus sombre que la question sociale, la réduction des inégalités, l’éducation, la lutte contre la pauvreté deviennent les enjeux majeurs de la Présidentielle
Redonner à l’éducation toute sa place dans la République, non pas pour qu’elle résolve tous les problèmes de notre société, mais pour qu’elle donne à celles et ceux qui ont cette belle mission, les enseignantes et les enseignants, d’avoir les moyens à la hauteur de l’ambition originelle de notre république de faire des citoyens libres et égaux, pas seulement en droit mais en fait.
A l’occasion des débats de la Présidentielle nous demandons que l’éducation soit une priorité pour répondre à ces questions d’égalité ,qu’il s’agisse des moyens, nombre d’enseignants, d’éducateurs et d’animateurs en relation avec les situations difficiles où vivent les populations pauvres, qu’il s’agisse d’innovations pédagogiques, qu’il s’agisse de complémentarité des temps scolaires et périscolaires, qu’il s’agisse de la place des associations complémentaires de l’école dans la construction des parcours de réussite éducative .
Il est temps d’inscrire la politique éducative dans un long terme avec des objectifs ambitieux, il est temps de réinscrire l’école dans le projet de former des citoyens capables de comprendre et d’agir, il est temps que l’école redevienne le moteur de l’ascenseur social
Nous faisons donc le choix de traiter ces deux thématiques éducation et pauvreté dès la rentrée lors de notre rencontre départementale de l’éducation qui se tiendra le 25 Janvier prochain dans l’hémicycle du conseil départemental.
Montaigne écrivait :« la pauvreté des biens est facile à guérir, la pauvreté de l’âme impossible », c’est certes vrai, mais pouvons-nous nous satisfaire de vivre dans une société qui laisse l’inégalité sévir et se reproduire quand nous avons les moyens de l’éradiquer ?
Daniel BOYS
Une exception consolante