En janvier 2017, à l’occasion des vœux, je terminais mon édito par “ces élections doivent être l’occasion d’un nouveau départ, pour une société plus juste, plus fraternelle, plus humaine, plus démocratique, plus respectueuse des hommes et de l’environnement”. Force est de constater que nous sommes loin du compte.
Un nouveau Président a été élu, une nouvelle majorité siège à l’Assemblée nationale, mais aussi les 2 grands partis de droite et de gauche qui ont structuré la vie politique française depuis 1958 ont été éliminés.
Ce rejet autant que l’abstention très élevée sont la conséquence d’une société en crise, en perte de repères, profondément divisée, où les alternances politiques n’ont pas répondu à la question essentielle en république, celle de l’égalité.
Comment croire au triptyque républicain “liberté, égalité, fraternité”, quand 1% des plus riches détiennent 1/4 des richesses, quand la pauvreté a progressé en 10 ans avec une multiplication par 2 des SDF, avec 9 millions de pauvres, 5 millions de chômeurs et 4 millions de mal logés, quand l’école de la République ne fait que reproduire les inégalités sociales, quand toutes ces difficultés sont concentrées dans les ghettos urbains ou les zones rurales désertés par les services publics.
Ces élections sont le reflet de cette fracture sociale, qui est aussi une fracture urbaine et rurale doublée d’une fracture culturelle. D’un côté celles et ceux des ghettos urbains et des zones rurales isolées qui ne croient plus aux promesses des grands partis et qui se sont réfugiés dans l’abstention ou pire le vote d’extrême droite ; de l’autre, celles et ceux des grandes métropoles qui sont les bénéficiaires du monde ouvert, du libéralisme, et qui ont amené à l’Assemblée nationale une majorité à leur image, faite de celles et ceux qui réussissent.
Élu sur le rejet des idéologies, le Président de la République nous a laissé entendre que le clivage gauche/droite n’existait plus. Son “en même temps” laisse supposer qu’il n’y aurait plus de choix, qu’il n’y aurait qu’un intérêt général avec des réponses techniques portées par des élus spécialistes, dont la novlangue des start-up sert d’alibi à une absence de vision politique émancipatrice. Ce “en même temps” est la réponse à un système partisan qui a été incapable à définir un projet mobilisateur et donner des résultats concrets.
A-t’on demandé à Jean Macé, à Jules Ferry, à Jean Jaurès, à Aristide Briand, à Jean Zay ou à Léo Lagrange d’être des techniciens maniant la novlangue de leur époque ? Non, ils étaient des républicains aux convictions humanistes et sociales fortes, à l’écoute des plus faibles, engagés à mettre en place les réformes qui ont conduit aux progrès sociaux et culturels dont nous profitons aujourd’hui et dont nous sommes les dépositaires.
Rappelons nous aussi que ces progrès sont toujours le résultat de mobilisations citoyennes et militantes. Sans la force des corps intermédiaires que sont les mouvements associatifs et syndicaux qui impulsent, enrichissent le débat d’idées et qui créent le rapport de force nécessaire à la traduction politique, rien n’aurait été possible. C’est là le sens de l’engagement de la Ligue depuis sa création en 1866. C’est pour cette raison que l’association est la base de l’organisation de la Ligue, qui les fédère pour les outiller et les coordonner, afin qu’elles soient les moteurs des innovations sociales et culturelles.
L’association est le lieu de la démocratie citoyenne, c’est l’interlocuteur entre le pouvoir et les aspirations de la population, et c’est pourquoi la Ligue s’est engagée en faveur de la loi de 1901 sur la liberté d’association, rouage fondamental de notre République. C’est pourquoi nous nous sommes élevés contre la suppression des emplois aidés indispensables au fonctionnement des associations, c’est pourquoi nous nous sommes indignés de la stigmatisation par le Président de la République, ici à Calais, des associations d’aide aux exilés qui pallient aux carences de l’Etat, c’est pourquoi nous sommes inquiets devant le refus de négocier avec les syndicats lors des conflits sociaux.
Ces faits remettent en cause le rôle essentiel des associations et des syndicats dans le fonctionnement apaisé d’une démocratie apaisée et responsable. Ils sont révélateurs d’une conception bonapartiste du pouvoir qui, détenant seul la vérité, s’appuie sur les techniciens pour imposer de manière autoritaire par ordonnance ses choix libéraux. Ce n’est pas notre conception d’une République de l’écoute, du dialogue et de la concertation.
Cette situation n’est pas sans rappeler celle de 1958 avec un parlementarisme à bout de souffle, l’instauration d’un régime présidentiel avec un président au-dessus des partis et la toute puissance des technocrates, ce que l’on retrouve aujourd’hui avec l’avènement de cette nouvelle majorité.
Mais 2018 n’est pas 1958, qui a vu lors des 30 glorieuses notre économie progresser et les inégalités diminuer avec l’avènement des classes moyennes. Aujourd’hui la situation est explosive car les inégalités sont criantes, la société est divisée, les forces politiques d’opposition sont moribondes, ce qui laisse le champ libre aux populismes pour récupérer les mécontentements et offrir des solutions simplistes, dont l’histoire nous a montré où elles peuvent conduire.
Depuis son élection, par ses décisions, par ses prises de position, le nouveau pouvoir contribue à créer dans les milieux populaires déjà inquiets, un sentiment de doute et de défiance à l’égard d’une République inclusive. C’est cette défiance et ce doute, c’est la détresse des plus faibles, que les vendeurs d’illusion, les radicaux religieux et les populistes d’extrême droite utilisent pour remettre en cause l’édifice républicain.
Même imparfait, il a permis des avancées importantes sur le plan social et sociétal, ainsi qu’en matière de libertés individuelles et collectives, édifice auquel la Ligue de l’enseignement a pris largement sa part dans sa construction au cours de l’histoire de la République.
Comment croire à une République apaisée et fraternelle lorsque témoignant d’un mépris pour les milieux populaires, le Président de la République se permet de dire “que dans une gare il y a ceux qui réussissent et ceux qui ne sont rien”. Comment croire à une République fraternelle et solidaire lorsque le Président compare la France à une cordée, où seuls les premiers de cordée à savoir les élites privilégiées tirent les boulets que sont les victimes de la mondialisation libérale.
Comment croire à une République fraternelle lorsque dans le pays des Droits de l’Homme les réfugiés sont montrés du doigt, privés d’accès aux conditions d’hygiène les plus élémentaires, leurs abris de fortune déchirés ou gazés. Comment croire à une République fraternelle lorsque la future loi “asile et migration” va renforcer la législation répressive à l’égard des réfugiés qui fuyant les guerres, les violences, les répressions à caractère ethnique ou religieuse, la misère ou les conséquences des changements climatiques, pensaient trouver au pays des Droits de l’Homme autre chose que ce mépris des droits humains. Loi condamnée par le Défenseur des droits, par l’ensemble des associations humanitaires de toutes obédiences, les ONG et les associations d’aide aux migrants. Nous ne nous reconnaissons pas dans cette politique indigne de nos valeurs et de notre tradition historique d’accueil des réfugiés.
Comment croire à une école inclusive lorsque cédant aux corporatismes, aux intérêts égoïstes de certains parents et des professionnels de l’hôtellerie, le gouvernement revient à la semaine de 4 jours qui pénalise tous les enfants et particulièrement ceux des milieux populaires, alors que la France est déjà le pays européen où l’école reproduit le plus les inégalités sociales. Comment croire à un accès à l’université ouvert à tous lorsque le nouveau système Parcours Sup instaure de fait une sélection sociale par l’introduction d’une lettre de motivation issue des pratiques managériales du monde de l’entreprise au lieu de privilégier le service public d’information et d’orientation. Seuls les enfants des milieux sociaux favorisés dont les parents sont familiers de telles pratiques seront à même de la rédiger ou de la faire financer par des boites privées.
Comment croire à la laïcité lorsque le Président de la République vient récemment de déclarer qu’il est temps de réparer les liens abimés entre l’Eglise catholique et l’Etat, alors que la loi de 1905 sépare clairement l’état du culte. Dans une société de plus en plus multicultuelle et multiculturelle, la laïcité c’est ce qui nous permet de vivre dans une société apaisée et respectueuse des idées, des convictions religieuses politiques ou philosophiques de chacun. Cette déclaration qui remet en cause cette séparation, qui privilégie une religion sur une autre, est un accroc au pacte républicain dont le risque est de raviver les tensions religieuses et sociales que les extrémistes de tous bords ne manqueront pas d’utiliser.
La Ligue de l’enseignement, qui porte les valeurs républicaines de liberté, d’égalité, de fraternité et de laïcité n’est ni un opposant, ni un supplétif, ni un encenseur des gouvernements quels qu’ils soient, de gauche, de droite ou d’ailleurs.
Elle est tout simplement la Ligue, qui depuis sa création œuvre inlassablement pour une société humaniste, pour le progrès social et culturel. Lorsque les décisions vont dans le bon sens la Ligue s’engage à les soutenir, à les mettre en œuvre, lorsqu’elles vont dans le sens de la régression, c’est son devoir de le dire et de s’y opposer. C’est ce que nous faisons aujourd’hui parce qu’il en va de la pérennité de l’édifice que nous avons contribué à construire.
Cette liberté à l’égard des pouvoirs, c’est notre réseau associatif qui nous confère la force qui nous a permis pendant 150 ans et encore aujourd’hui d’être toujours présents pour porter ses idéaux.
Rappelons-nous cette réflexion de Jean Jaurès : ” la République est laïque et sociale, mais elle restera laïque si elle sait rester sociale.”
Bien sûr la Ligue de l’enseignement ne peut pas régler le problème des inégalités sociales, mais nous avons l’impérieuse obligation d’être à la fois un rempart pour préserver l’édifice républicain, mais aussi d’apporter une réponse à l’impasse politique dans laquelle nous sommes.
Préserver l’édifice républicain en faisant reculer les idées d’exclusion et de racisme, en faisant vivre la laïcité, la fraternité, la solidarité partout et notamment dans les territoires délaissés de la République.
Répondre à l’impasse politique en soutenant nos associations qui offrent à travers l’économie sociale et solidaire une alternative au libéralisme marchand responsable des inégalités et des dérèglements climatiques, en favorisant le débat démocratique, en développant les initiatives associatives qui proposent des formes de vie citoyennes novatrices.
C’est dans ce creuset démocratique que naîtront les nouvelles formes d’organisations politiques porteuses d’un avenir conforme aux valeurs humanistes qui nous animent et qui animent la Ligue de l’enseignement depuis ses origines.
Pour la Ligue du Pas-de-Calais, continuer le combat de l’éducation populaire ce n’est pas se contenter de discours si légitimes soient-ils, c’est donner un sens politique à nos actions, c’est agir pour une société plus juste, plus solidaire, plus fraternelle.
Agir pour faire vivre la laïcité est une priorité parce qu’elle est le pilier du pacte républicain, parce que dans notre département les populations fragilisées des zones rurales isolées ou des ghettos urbains en manque de repères se laissent séduire par les sirènes de l’extrême-droite. C’est ce que nous avons fait à Hénin-Beaumont le 8 décembre dernier, lors de la Semaine de la laïcité, c’est ce que nous faisons au quotidien avec nos associations et nos 2 entités sportives l’USEP et l’UFOLEP, dont je veux saluer les 2 présidents.
Agir pour faire vivre la fraternité, mettre en œuvre les actions pour faire reculer les discriminations, qu’elles soient basées sur la couleur de peau, le sexe, l’orientation sexuelle, l’origine ethnique, la religion, le handicap ou une quelconque différence. Notre temps fort c’est la semaine Faites la Fraternité autour du 21 mars.
Agir pour la solidarité envers les populations les plus fragilisées. Et je voudrais avoir une pensée toute particulière pour les migrants et les associations affiliées qui leur viennent en aide, et en même temps m’indigner qu’une circulaire du Ministre de l’intérieur demande aux associations de faire le tri entre “bons” et “mauvais” migrants, revenant ainsi sur l’inconditionnalité de l’hébergement d’urgence et transformant de fait les associations en auxiliaires de police.
Agir pour permettre à chacune et à chacun quels que soit ses origines sociales ou ses moyens financiers de pouvoir s’épanouir par les pratiques sportives ; un grand merci à l’UFOLEP, à l’USEP.
Agir pour faire reculer l’illettrisme avec Lire et faire Lire que nous menons avec l’UDAF. Chaque semaine pendant l’année scolaire 600 lectrices et lecteurs bénévoles permettent à 18000 jeunes d’enrichir leur imaginaire et leur donner le goût de la lecture.
Agir pour favoriser l’accès à la culture et l’épanouissement culturel en soutenant les pratiques théâtrales en amateur à travers les 8 réseaux du Centre de Ressources régional du Théâtre en Amateur, en accueillant des résidences d’artistes au centre Les Argousiers de Merlimont, en animant le dispositif “Arts de la scène au collège” pour les collégiens du département ou des ateliers de pratique artistique dans le cadre des TAP.
Agir en permettant aux jeunes un premier engagement citoyen, que ce soit à travers la formation BAFA, ou les volontaires en Service civique que nous mettons à disposition des associations et dont nous assurons la formation ; ou encore les Coopératives jeunesse de service ou les Juniors associations.
Agir pour permettre aux jeunes de partir en vacances pour un temps de vie collective ou de bénéficier de séjours éducatifs lors des classes de découvertes environnement et développement durable de notre centre de vacances Les Argousiers.
Agir pour une économie plus respectueuse des hommes et de l’environnement en apportant notre soutien aux associations de l’économie sociale et solidaire.
Toutes ces actions ne sont possibles que parce que nous sommes un réseau de 900 associations, 40 000 adhérents et 75000 bénévoles, déployés sur tout le territoire. Qu’il me soit permis de saluer et remercier tous les bénévoles et les présidents ici présents qui s’engagent au quotidien pour faire vivre l’éducation populaire.
Toutes ces actions ne sont possibles sans l’engagement du personnel de la Ligue, son DG, ses cadres, ses chargés de mission, son personnel administratif. Qu’il me soit permis à cette occasion de saluer leur professionnalisme, leur disponibilité mais aussi leur engagement militant au service de l’idéal qui nous anime.
Toutes ces actions ne sont possibles sans le soutien financier des services de l’Etat, la DDCS, le Ministère de l’éducation nationale, les collectivités territoriales, communes, intercommunalités, le Conseil départemental, et le Conseil régional, avec lesquels nous co-construisons les politiques publiques. Qu’il me soit permis de les remercier.
Leur soutien est à la fois le signe et la reconnaissance de leur intérêt pour ce que nous faisons, et au-delà de nous, pour l’éducation populaire et toutes ces populations auxquelles nous tentons d’apporter sinon une utopie, tout au moins un espoir.
Se “souvenir de l’avenir” comme l’a rappelé notre congrès des 150 ans, ce n’est pas un slogan ou une quelconque nostalgie, c’est une façon contemporaine d’être les continuateurs de celles et ceux qui, au milieu du 19ème siècle, ont cru, agi et non seulement pensé pour mettre en œuvre toutes les grandes conquêtes sociales de la République. Ils n’étaient ni des techniciens ni des idéologues, mais ils étaient épris d’humanisme et de justice sociale.
Ils y ont cru, ils l’ont fait, à nous de continuer leur combat !
Le président,
Daniel BOYS
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